24 octobre 1934 : la naissance du Front populaire à Nantes
27/10/2014
Entre le 6 février et le Comité central du PCF des 1er et 2 novembre qui décide la stratégie électorale pour la période, c’est l’émergence d’un rassemblement inédit des forces antifascistes de gauche dont Maurice Thorez est l’acteur principal en lançant un appel à Nantes-Doulon.
À la veille du 31e Congrès du Parti radical à Nantes, en compagnie de Renaud Jean et d’autres orateurs du PCF, Maurice Thorez propose la « création d’un large front populaire ». Le processus est déjà bien engagé depuis les événements du 6 février où les ligues d’extrême droite ont manifesté dans un climat de violence extrême. Perçu par les gauches comme un « coup de force fasciste », cet événement change la donne : « La République et la patrie sont en danger. »
Au-delà des manifestations connues, du 9 février (organisée par le PCF et la CGTU), puis du 12 février (SFIO et CGT), la mobilisation s’organise dans le pays grâce aux efforts de la CGT. Toutefois, les directions du PCF et de la SFIO campent sur leur méfiance réciproque.
L’élan est donné. Il se renforce grâce à la création le 5 mars du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA). Laboratoire de mobilisation antifasciste, c’est une passerelle entre les organisations donnant naissance au Front populaire. Les tâtonnements caractérisent aussi les enjeux du moment, car il est toujours difficile d’opérer un tournant à 180 degrés…
C’est en juin et juillet que l’accord entre le PCF et la SFIO aboutit. Fin juin, Thorez préconise une unité d’action avec le PS. La SFIO « accepte l’offre d’action commune contre le fascisme et la guerre » (le Populaire, 16 juillet) et le pacte d’unité est signé le 27 juillet. Le 31, les deux partis commémorent ensemble le 20e anniversaire de l’assassinat de Jaurès. Toutefois, les radicaux n’ont pas encore franchi le pas de l’unité.
« Pour barrer la route aux ennemis du peuple »
Le Parti radical, « parti pivot » de la vie politique (Serge Berstein), est divisé entre la « peur des rouges » et la volonté de défendre la République. Daladier, victime du 6 février, incarne une ligne de défense républicaine, alors que la direction du parti apporte son soutien au gouvernement de Doumergue auquel participe Herriot.
À l’automne, le PCF entre en contact avec Daladier, qui souhaite que l’alliance s’élargisse pour favoriser « l’adhésion de tous : classe ouvrière et classes moyennes contre la montée du fascisme » (4 octobre).
Le 9, Cachin et Thorez lancent le mot d’ordre de « Front populaire pour le pain, la paix et la liberté ». Le 24 octobre, à Nantes dans une salle du quartier de Doulon, Thorez réitère : « Pour barrer la route aux ennemis du peuple nous proposons la création d’un large front populaire. » Après avoir rappelé que « le président du Conseil a beau se présenter en sauveur de la France, il n’en reste pas moins que son gouvernement (…) a spolié les masses laborieuses, les fonctionnaires, les anciens combattants, les boutiquiers, les paysans-travailleurs ».
La charge est lourde, il faut relever les contradictions des radicaux (notre édition du 26 octobre 1934.). S’il dénonce leur dérive droitière, il veut rassurer le socle du parti : « Ce gouvernement s’attaque aux libertés démocratiques, en gouvernant à coups de décrets-lois, en multipliant les brimades, à l’égard des instituteurs laïcs, en entreprenant de réviser la Constitution, pour instaurer le pouvoir personnel (…). Il nous souvient d’une époque où M. Herriot (…) combattait la politique des décrets-lois, au nom de la défense de la République. Nous sommes certains que nombreux sont les radicaux qui n’ont pas oublié cela (…). » Fort du succès des cantonales, il insiste sur le fait que des « personnalités radicales dénoncent la gravité de la menace fasciste ».
Sans le citer, il évoque Daladier. Puis il développe un projet politique compatible avec le modèle républicain, s’adressant à la « CGT et à la CGTU, aux syndicats autonomes, à toutes les organisations ouvrières, à toutes les organisations des masses paysannes durement frappées par la crise, aux groupements radicaux hostiles à la réaction ».
Il faut changer de politique pour lutter contre la crise en faisant « payer les conséquences aux riches ». Terminant par un vibrant appel, il est certain que son invitation « à tous les partisans de la liberté ne restera pas sans écho parmi les travailleurs radicaux » pour constituer « face au front de la réaction et du fascisme, le front populaire de la liberté, du travail et de la paix ». En s’adressant aux radicaux, Thorez crée la surprise : l’intérêt porté à un « parti bourgeois » souligne bien l’urgence du moment, la défense de la démocratie.
Dès lors, ce rassemblement peut devenir une véritable alternative, d’autant que Doumergue tombe le 5 novembre, remplacé par Pierre-Étienne Flandin. On peut alors considérer ce discours comme la naissance du Front populaire. Mais cet événement s’inscrit dans un mouvement plus large, cumulatif, qui trouve son aboutissement lors du Comité central du PCF qui se tient les 1er et 2 novembre et son épanouissement total en 1935, au 7e Congrès de l’IC, qui prend exemple sur le PCF, sans oublier non plus la campagne électorale de 1936.
Jean Vigreux, historien, Auteur du Front populaire, collection «Que sais-je ?», PUF.
Les Archives Politiques du Komintern et le Fonds français
Le programme Paprik@2F se propose de créer un « portail numérique sur les archives politiques de la galaxie communiste » (archives produites tant par l’organisation communiste que par la surveillance étatique, voire par la répression). Il s’agit de mettre en regard les fonds existants (archives nationales et archives dites de Moscou) dans un même registre d’indexation et d’inventaire. Ce travail ajoute aussi les productions (tracts, brochures, affiches, photographies, films) apparues en aval. Ainsi, dans le cadre de l’élargissement du Front populaire à l’automne 1934, on peut par exemple lire le discours de Maurice Thorez devant le Comité central du 1er novembre 1934. Site Internet : http://anrpaprika.hypotheses.org/
- L'Humanité : http://www.humanite.fr/24-octobre-1934-la-naissance-du-front-populaire-nantes-555608
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